mercredi 24 septembre 2014

UNE EXO-PLANÈTE ?






UNE EXO-PLANÈTE ?







                                                                                     Santiago du Chili







Voyage sur une autre planète.




Si je vous dis que j’étais au Chili, sans doute vous imaginerez-vous un cadre : Peut-être bien des guanacos, cousins des lamas , peut-être  qu’une chanson vous reviendra en mémoire ; « Nous irons à Valparaiso … »  Quoi de plus ?

Eh bien non : Je ne reviens pas du Chili. J’ai plutôt l’impression de revenir   d’une exo-planète … Laquelle? – Je  ne saurais le dire. En tout cas, ce doit être une planète très lointaine, très, très lointaine.

L’avion qui m’emportait avait commencé par se poser à l’île de Pâques : Cratère volcanique, roches rouges, falaises … Et les Moaïs ! … Non loin de l’aérogare, un groupe de cinq ou six Moaïs énigmatiques … Statues de pierre coiffées d’une sorte de gâteau … de pierre ! L’aérogare ? … Une hutte, pas plus. Juste à côté, l’homme-oiseau était présent sur une énorme roche : Incongru car façonné en ciment brut. Une autre hutte : une vieille femme derrière une planche servant d’éventaire vendait … Deux éclats de lapis-lazuli et un morceau d’obsidienne ! Océan vert sombre, comme certaines émeraudes. Une demi-heure d’escale : Peu de signes de vie, végétale, animale ou humaine … Un autre univers !



               
                                  Les moaïs de l'île de Pâques




Passage à Santiago … Chansons de marins, encore « Oh hisse Eho ! »   … Hôtel vieillot, derrière la colline que l’on appelle Cierro Santa Lucia, je crois. Murs tapissés de velours rouge, pâli et poussiéreux …  Les statues des saints, dans la cathédrale, sont habillées à la mode d’autrefois … Le palais de la Moneda ne garde aucune trace des combats qui ont eu lieu ici. Une statue monumentale de la Vierge étend des bras protecteurs sur la ville … Sur la Place d’Armes, il y a un kiosque à musique … Tous les soirs s’y installent des joueurs d’échecs muets à force de concentration.


Survol de la Cordillère : Neige, neige, neige … Les pointes de quelques cônes volcaniques percent les nuages, quelques-uns fumants. Arrivée sur l’aérodrome de Puerto Montt. 







-      «  Francès ?  … «  - On m’avait pris pour un Américain des U.S.A. … Ici, on semble ne pas aimer beaucoup les Américains !

Puerto-Montt  - J’y reviendrai.

Punta Arenas … Le pied d’un volcan … Il s’appelle Osorno … Il y a beaucoup, de volcans au Chili : « La ceinture de feu du Pacifique » …  L’île de Chiloe … Un jardin que, chez nous, on appellerait un mail : Un berger de bronze conduit des moutons de même métal … Souvenir ! Beaucoup de plaques de bronze : En hommage à Magellan, en hommage aux immigrants qui vinrent ici pour y faire fortune … La Plupart d’entre eux venus de Yougoslavie … Dans le cimetière, tombeaux de marbre majestueux et statue de « l’Indiencito », Le dernier des indiens Onas décimés par l’alcool, la maladie et les fusils …


Embarquement sur le « Tierra Australis ». On appareillera demain matin … Autre planète ! Le canal de Magellan, puis le canal de Beaggle … Pas de vent, temps gris, ciel gris, eau grise, falaises grises … On n’entend même pas les machines ; Monté sur le pont, on a l’impression d’être sur un tapis volant : Voler à cinq ou six mètres de hauteur, sans un ca hot… Planer. Monde minéral, exclusivement … Multiples bras du canal … Glaciers, glaçons bleus, qui hochent et se dandinent … Les passagers ? – Y a-t-il d’autres passagers que moi ? - Quelques-uns … Une centaine probablement … Je les rencontre au moment des repas … Des ombres ou des automates ? – Je me réfugie dans ma cabine : À travers le hublot je n’aperçois que des roches : Roches grises, falaises grises, ciel d’étain, mer de plomb. Pas une fumée, pas un toit. Pas un oiseau, pas un mammifère marin. Pas un bruit ! … La carcasse d’un cargo, échouée sur un bac de roches … des balises …








Ushuaïa, Argentine : Je n’en dirai que peu de choses, ce nom s’est chargé de trop de rêves ! Ancien pénitencier, navires russes de chasse à la baleine,  plaques de bronze à la mémoire de ceux qui ont péri pendant la guerre des Malouines. Une exposition de photos en mémoire des Indiens Onas et Alakalufs … Fleurs de lupins et amoncellements de coquilles de moules vides. Arbres coupés, souches à hauteur d’homme. Impression, toujours, de vide !

Puerto Toro : Quelques maisons sur pilotis : On pense à des containers de transport maritime. Sous les maisons, bûches bien empilées : La réserve pour l’hiver ! … Que peut-il donc bien y avoir à faire à Puerto Toro, sinon couper du bois pour l’hiver ? Peu d’êtres vivants … Un vieil aviso de l’Armada du Chili, amarré de câbles qui lui font des pattes d’araignée. Une « place du village » sur laquelle on a installé une poutre de bois en guise de balançoire : Il doit y avoir des enfants quelque part …
Les femmes se trouvent dans la cahute où l’on distribue les marchandises qui viennent d’arriver pour les fêtes de Noël : Saucisses et légumes.








En souvenir, je ramasse un éclat de roche : Cristal.

Retour à bord … Deux Canadiennes que je connais vaguement pour les retrouver à table. Elles ne parlent pas du tout le Français … Elles sont Hongroises d’origine … Elles s’expriment en Anglais.
L’une d’elles est médecin, je crois le comprendre . L’autre … Eh bien, l’autre, est sympathique : Je lui montre le morceau de cristal de roche que j’ai rapporté … Elle m’entraîne dans sa cabine pour me montrer, au sein de sa valise remplie de chemises de soie et de petites culottes …. Un bloc de cristal de roche qu’elle a, elle même, rapporté en guise de souvenir !

Punta Arenas : Les deux « canadiennes » s’en vont faire une excursion au pied du volcan Osorno. Je dors. Je dors à mon hôtel, « Los navigantès », je crois … J’ai choisi de faire la même excursion … Mais le lendemain … Car je commence à trouver les deux Canadiennes un peu « collantes » …

Le lendemain … Ah Le lendemain ! … J’ai bien fait l’excursion, mais il pleuvait sans doute autant que lorsque Noë lança son arche ! … Pendant toute lajournée nous avons roulé sans rien apercevoir à travers les vitres de l’autobus … Mais une pluie ! … Pourtant, je savais qu’il y avait là des lacs superbes, avec des flamants roses sur leurs berges … Je savais qu’il avait des araucarias … Je savais qu’il y avait, à Pétrohué où nous passions, des chutes d’eau extraordinaires …

Je n’ai jamais revu mes deux « Canadiennes », donc elles n’ont pas pu me raconter ce qu’elles avaient vu de l’Araucanie » !








Valparaiso ? – Ah ! Valparaiso ! … Le port, les rues dont les trottoirs servent d’éventaires à la brocante … Les funiculaires bringuebalants qui m’emmènent dans les favelas ! ….

… « Nous irons à Valparaiso … Hurrah, pour Mexico … Oh, Oh, Oh ! »


lundi 30 décembre 2013

MURUROA, MON AMOUR ?









MURUROA


















C’est à bord d’un cargo que je suis allé à Mururoa, "Muru", comme on dit depuis que cet atoll est devenu célèbre ... Célèbre, mais désert, maintenant : Territoire militaire – Accès interdit ».
 
Nous y allions en faisant la tournée des Tuamotu pour rassembler les enfants qui devaient faire leur rentrée à l’internat du Collège inter-îles de Makemo. Y avait-il des enfants, à Mururoa ? – J’en doute. Probablement l’escale avait-elle d’autres raisons …


Quelques jours plus tôt, une bombe atomique avait explosé en l’air, suspendue sous un ballon, je le savais. Un navire croisait : Il avait servi à loger les personnels tout le temps qu’il y avait eu un risque de contamination. Je n’avais aucune crainte : Si la Marine Nationale envoyait un cargo à « Muru », c’est qu’il n’y avait aucun danger … Dans ces cas-là, je suis plutôt porté à faire confiance aux autorités de mon pays et aux scientifiques qui les conseillent.





Néanmoins, j’y pensais, à ces expérimentations. J’y pensais et … Je scrutais les cieux, imaginant le fameux champignon, bien connu de tous depuis celui de Bikini …

Rien. Pas une trace … Ni dans les airs, ni sur les flots … Et quelles traces y aurait-il bien pu y avoir ?

Je savais qu’un second atoll avait été vidé de ses habitants : Fangataufa … Il pouvait, lui aussi, servir aux expérimentations … On l’utiliserait au cas où les vents souffleraient du mauvais côté, risquant d’entraîner des particules vers des îles habitées. On l’utiliserait aussi au cas où les explosions provoqueraient  un affaissement trop important de Mururoa.

Tureia, relativement proche de Mururoa avait-elle été évacuée ? - Je le pensais.

Longtemps j’avais cherché « Muru » … Les atolls sont si bas sur l’eau qu’on ne les aperçoit que lorsque la proue touche presque le récif … Ce sont d’abord les plumeaux des cocotiers que l’on aperçoit, puit, au fur et à mesure de l’approche, les fûts grandissent et s’étirent …





Vaste lagon, entouré par un récif annulaire … J’en avais vu d’autres : La passe s’ouvre lorsqu’on l’embouque. Elle est courte et nous voilà dans les eaux calmes et irisées.

Quels souvenirs, de mon passage à Mururoa ? – Peu de souvenirs : Il y avait peu à voir ! … Quelques bunkers de béton, aveugles … Une route sous les cocotiers : Graviers de corail mort, si blancs qu’il faut fermer les yeux : Lumière aveuglante ! Quelques buissons, comme sur tous les atolls … Je n’ai pas beaucoup d’autres souvenirs … Si …  Une longue digue de béton, édifiée par la Légion Étrangère pour protéger la « zone de vie » : Les affaissements possibles du sol de l’atoll pourraient laisser passer les fortes vagues. Des terrasses refuges, également en béton, étaient censées permettre aux personnels de se mettre à l’abri d’un tsunami s’il s’en produisait et … Si les dits personnels couraient assez vite pour s’y réfugier …

Mururoa, tout comme Fangataufa étaient vide de tout habitant depuis 1906. Elles avaient été choisies pour y localiser le Centre d’Expérimentation Atomique en raison de leur éloignement des autres îles et des voies maritimes et aériennes.






Je n’entrerai pas dans les polémiques qui ont pu se développer autour des nuisances aux hommes et aux sites … Je ne suis pas qualifié pour cela et je n’ai rien vu qui me permette de porter un jugement. Je résidais à des milliers de kilomètres de là et tout ce que je sais, c’est que mon coiffeur, aux îles-sous-le-vent, prétendait que, depuis les expérimentations, les cheveux de ses clients tombaient …

Les essais ont été interrompus en 1996. Il y avait eu, au total, 210 essais, dont 17 dans le désert du Sahara, 167 à Mururoa et 14 à Fangataufa. En Polynésie, les premières explosions avaient été provoquées sur des barges flottant dans le lagon. Par la suite, les bombes avaient été suspendues sous un ballon, puis les essais s’étaient poursuivis en explosions souterraines, à grande profondeur, autorisée par des forages dans le corail, puis dans le socle basaltique, reste de l’ancien volcan originel.

Mururoa mon amour ? … Même pas : Souvenir de béton, souvenir d’un nom, souvenir d’une île condamnée … En comptant Makatea, pour d’autres raisons condamnée, et Mangareva, cela fait déjà trois îles problématiques … Il faudrait y ajouter au moins Fangataufa. Mais, l’homme n’a-t-il sévi que dans les îles ? …

samedi 28 décembre 2013

MAKATEA, L'ÎLE SACRIFIÉE.









        
Makatea


                 C’était, je crois, en 1969. Je naviguais dans les archipels   des Tuamotu.
                 Pour cette tournée, j’avais embarqué  sur un dragueur de mines de la Marine Nationale. Ce petit bâtiment s’appelait « La Paimpolaise ». Coque en bois, peint en gris, il avait été construit au Canada et faisait partie du même lot que ceux que j’avais connus aux Nouvelles-Hébrides et en Nouvelle-Calédonie : La « Dunkerquoise », la « Lorientaise » ... Bâtiments fiables mais dont la hauteur sur l’eau amplifiait le roulis et le tangage !
Nous étions partis pour Manihi, un atoll situé sur la route des Marquises, mais nous avions dû faire demi-tour et mettre le cap sur Papeete : En fait, nous avons mis en fuite devant un cyclone auquel nous tentions d’échapper. La mer était grosse quand le soleil se leva, d’un seul coup. La radio était rassurante : Nous étions sortis de la trajectoire de la tempête … Le Lieutenant de Vaisseau qui commandait le bâtiment décida de faire route vers Makatea.






Allez donc comprendre quelque chose aux caprices des océans ! Tout d’un coup, les vagues s’étaient calmées. Nous naviguions maintenant sur une mer d’huile. Le ciel s’était dégagé comme par miracle. Il était juste un peu plus délavé que les flots. Au loin, vers l’Ouest, un point noir, comme un gros oiseau posé.

-      « Makatea ! », me dit le Commandant.

    Pour moi, ce nom évoquait des aventures du siècle dernier : Joseph Conrad nous parle des « îles à guano » … Des îles qui ont fait la fortune  de ceux qui les ont exploitées …

Makatea est une île comme il en existe peu dans les océans … En existe-t-il même une seule qui lui serait semblable ? C’était un atoll, comme tous les atolls de l’archipel des Tuamotu, dont elle fait partie. Elle se situe à peu près à mi-chemin entre Tahiti et Rangiroa, atoll au lagon immense. Mais Makatea n’a plus de lagon : C’est maintenant une île qui a été soulevée et qui se présente comme une table exhaussée, avec ses falaises de quatre-vingts mètres de haut …






Forces immenses, jeu de géants, jeu des dieux ou des démons : On suppose que l’atoll de Makatea a été soulevé lorsque les volcans de Tahiti ont émergé … Leur poids aurait fait mouvoir les fonds abyssaux et ce gonflement aurait exhaussé Makatea d’un seul bloc, récifs, roches et lagon tout à la fois. Le lagon, bien sûr, se serait asséché : Il était comblé par les sédiments organiques. Là était l’or que les découvreurs n’avaient plus qu’à ramasser à la pelle et à transporter à la brouette pour l’exporter vers les pays dont l’agriculture était en pleine explosion : Le Phosphate !


On attribue la découverte du phosphate de Makatea au Capitaine Bonnet, aux alentours de mille huit cent soixante. Dès mille huit cent neuf, l’exploitation était confiée à la Compagnie Française des Phosphates d’Océanie. À partir de là naît une histoire !

Nous étions presque arrivés. Les falaises se dressaient, hautes, rébarbatives, creusées de grottes. Dans une échancrure du terrain  apparaissaient quelques toits de tôles rouillées : Il y a eu là une ville de quelque trois mille habitants ! Une sorte de diplodocus de fer tendait le cou vers le large : Un cou de cent mètres de long, que l’on devinait repliable … Un convoyeur à tapis roulant.




Sous cette structure antédiluvienne et par deux cents mètres de fond flottaient deux ou trois bouées énormes, jaunes : C’étaient celles auxquelles venaient s’amarrer les cargos pour charger le phosphate amené jusque-là par le tapis roulant. Toutes ces installations étaient immobilisées depuis l’année mille neuf cent soixante-six … La ville était abandonnée, les ateliers évacués. Il ne restait plus, sur l’île, que deux ou trois personnes … Dix, tout au plus ! Nous n’en rencontrâmes que trois.

Pas de port, pas de quai : On débarquait de la chaloupe au pied d’un escalier, juste à côté d’un monte-charge.

Vous avez déjà vu du corail ? – Agglomérats de branches de calcaire, blocs vermiculaires ou en forme de champignons, cavités aux rebords acérés … Lorsque l’exploitation avait commencé, le sol, paraît-il, était plat, les cavités remplie par le sable phosphaté … Mais on avait vidé les creux à grands coups de pelle, posé des rails, un train circulait un peu partout et l’on en avait chargé les wagons. Lors de notre visite, les wagons étaient toujours là, vides et rouillés … Les locomotives étaient toujours là : Les cuves de fuel étaient pleines encore et l’on nous fit l’honneur d’un court trajet en chemin de fer !


L’île est un plateau dont la longueur maximale est de sept kilomètres et demie, sa plus grande largeur étant de quatre kilomètres.

Horreur d’une île sacrifiée, inhabitable ! …

 Volets battant aux vents, portes ouvertes, béantes, sols défoncés, trous multiples, planches jetées en manière de passerelles …


Bâtiments publics à l’abandon : Église, temples, échoppes et magasins, hôpital, écoles, bars, ateliers et bureaux, forge, fonderie, gare et  … des lits que l’on a traînés dehors, puis qui ont été laissés là … Des casseroles, des assiettes, un pareo accroché aux épines d’un buisson … On songe à ces villes de bois, construites par les chercheurs d’or en Californie ou au Colorado, puis laissées à l’abandon : Les films de cow-boys nous en ont offert les images ! … On songe à Pompeï ou Herculanum.
Mais ici, aucun cataclysme n’est responsable du délabrement ni de l’abandon : Le rendement de l’exploitation n’étant plus rentable, on a arrêté les générateurs, peut-être a-t-on aussi fermé les robinets … Puis on est parti !






Ô, l’atelier de menuiserie ! … Sous la scie à ruban, sur l’établi, il y avait encore un petit tas de sciure pulvérulente, comme si le menuisier allait revenir dans un instant et reprendre son travail là où il l’avait laissé … Un calendrier pendait au mur, sur lequel on avait noté en regard des dates le nombre de cercueils  qu’il avait fallu construire : Une ville de trois mille habitants, on y vit, on y travaille, mais, bien sûr, on y meurt aussi !

L’exploitation avait employé des ouvriers de toutes origines : Des Polynésiens, bien sûr, mais aussi des Japonais, des Chinois … Des Annamites …


Hallucinant ! La Compagnie des Phosphates d’Océanie, en 1910 a extrait 12 tonnes de phosphates, en 1929, elle en tirait 251 tonnes, en 1960, elle enlevait 400 tonnes ! Durant toute la période d’exploitation, des ouvriers qui circulaient d’un trou à l’autre sur des passerelles de planches, qui creusaient le sable des phosphates à la pelle, qui roulaient leurs brouettes jusqu’aux wagonnets du chemin de fer, zigzaguant entre les excavations, qui s’enfonçaient au plus profond des grottes …. Des prêtres, des curés, des pasteurs, des épouses, des enfants, des commerçants, des mécaniciens, des bureaucrates, des administrateurs …


Et puis, tout d’un coup … On part en laissant les portes ouvertes : Clés sur les serrures, cuves pleines, matériaux et outils … Tout, on laisse tout et l’on en fait cadeau au Territoire, qui, transfère le cadeau à la commune … C’était en 1966 et le maire de Makatea se demande toujours ce qu’il va bien pouvoir faire pour réinsuffler dans son île un souffle de vie !

Tourisme pour riches rêveurs ? … Il reste, sur Makatea, quelques crabes de cocotiers : On les mange et c’est, paraît-il excellent … Mais on peut aussi les naturaliser et les ramener chez soi pour les exposer sur les rayons de sa bibliothèque !

Se dresse sur celle île un bloc de pierre que l’on nomme la « Pierre Moa » … On voulait l’enlever pour en faire une stèle commémorative … On raconte qu’il fut impossible de l’arracher du sol : Même avec un hélicoptère, on n’y parvint pas … C’est l’esprit de Makatea qui est toujours là … Contrairement aux apparences peut-être, la vie est toujours là …












mercredi 18 décembre 2013

L'ARCHIPEL DANS LA LUMIÈRE








     





LES ÎLES GAMBIER

                L’ARCHIPEL DANS LA LUMIÈRE


L’avion volait dans un bain de lumière. En bas, l’océan Pacifique étendait une soierie miroitante : infiniment, le voile bleu de la vierge Marie. Justement, en ce moment même, nous survolons un petit atoll tout rond : Ma carte, déployée sur mes genoux, lui donne un nom … C’est l’île Maria !

Le Twin-Otter a décollé de Tahiti au petit matin … Plus de neuf cents kilomètres parcourus jusqu’à l’atoll de Hao où nous nous sommes posés pour débarquer deux passagers. Deux nouveaux ont embarqué. Au fait, je ne sais plus très bien si c’est vraiment un Twin-Otter qui nous a emportés : C’était il y une trentaine d’année, vous savez ! Mais  qu’importe !

Entre Tahiti et Hao, nous n’avons aperçu qu’Anaa … Petite virgule dans le lointain, à l’extrémité du sari … Et dire qu’un cyclone, il n’y a pas si longtemps a tant gonflé l’océan que cette île a été entièrement submergée : Les habitants, pour se sauver, ont dû grimper dans les cocotiers !





Hao est porté sur ma carte sous le nom de l’île de la Harpe … Allez donc savoir pourquoi ! Je ne visiterai pas cet atoll cette fois-ci : La piste d’atterrissage a été construite sur un « motu », c’est-à-dire sur un ilot : Il faut embarquer dans un canot pour rejoindre l’atoll : Large anneau de corail d’un blanc éblouissant, cocotiers, installations militaires, drapeau français en haut d’un mât, long bâtiment destiné à abriter les habitants au cas où le vent amènerait des émanations mauvaises, venues de Mururoa …




 Derrière un bouquet d’arbres, on aperçoit les toits du village, regroupés autour d’une construction qui doit être une école … Sol blanc de corail mort : Fermer les yeux pour ne pas être aveuglé … Plages blanches … Buissons en bouquets … Cocotiers.

Lumière … Une passe étroite qui permet aux bateaux d’entrer dans le lagon : Ondes colorées de grenats, de topazes, malachites et de toutes les nuances du saphir !







Maria nous est apparue comme un petit, tout petit anneau qu’on aurait lancé là. C’est en fait un petit atoll dans le lagon duquel flottent trois ou quatre îles inhabitées … Je sais qu’il a été découvert par les marins d’un baleinier, en 1824 … Maria était le nom de leur bateau. En fait, les navigateurs polynésiens l’avaient découvert depuis longtemps. Ils l’avaient nommée Nurutotu et je ne vois pas très bien pourquoi on a cru bon de changer son nom ! Se souvient-on qu’un bagne fut installé là ?






Le ronron des moteurs est si régulier, l’air est si pur et si calme … Nous baignons dans une telle lumière ! … Temps suspendu ! … Ukulélé, tambours, guitares, le parfum du tiaré … Il n’y a qu’à  laisser aller  ses rêves …

Et puis voici L’archipel des îles Gambier : Le récif entoure un vaste lagon … Plusieurs îles y flottent, l’une plus haute et plus vaste que les autres : Mangareva !

Tiens, celle-ci a conservé son nom polynésien ? – On lui devait bien cela !




Il me souvient … Je l’ai lu quelque part, que ces îles ont été peuplées aux alentours de l’an mille de notre ère par des gens qui venaient des rives de l’Asie du Sud-Est …



 Ils venaient après avoir traversé l’immensité à la voile et à la pagaie, sur leurs pirogues doubles … Combien de temps avaient-ils  navigué d’île en île ? Quelles îles avaient-ils abordé ? Ils apportaient la noix de coco, le fruit et, sans doute, le plant de l’arbre à pain … Sans doute apportaient-ils aussi le taro et la patate douce … Ils venaient avec leurs épouses et leurs enfants … Chassés par qui, par quoi ? - Longues errances  conservant encore la plupart de leurs mystères !




Ici aussi, la piste d’atterrissage ne se trouve pas sur l’île principale … Nous avons dû nous poser à Totogégie, l’île qui se trouve le plus au Nord dans le lagon …  Ensuite, nous avons dû sauter dans une barque ou une baleinière.  Je ne me souviens plus très bien … Par contre, je me souviens parfaitement que nous avons frôlé une autre île montagneuse, sur laquelle  on voyait des bâtiments, mais qui était inhabitée depuis longtemps, me disait-on … Elle était frangée de cocotiers.




Je n’ai aucun souvenir de notre accostage sur Mangareva, juste en face de Rikitéa, la « capitale ».  Sans doute, puisque j’étais en mission officielle, les autorités locales avaient-elles rassemblé un comité d’accueil : Colliers de fleurs de frangipaniers et guitares …

Ce dont je me souviens parfaitement, c’est de ma surprise : Les quelques constructions que je pouvais apercevoir autour de moi m’auraient laissé pensé que j’étais arrivé à Brouage ou dans quelque autre cité fortifiée par Vauban au temps de Louis Treize ou Louis XIV ! – Qu’est-ce à dire ? – J’avais devant moi une tour construite, apparemment en pierres de taille de la plus belle sorte, et une autre petite bâtisse qui avait tout d’une échauguette …
Devant mon étonnement, l’instituteur, qui avait fait partie du comité d’accueil, me parla du Père Laval … Je devais en entendre parler tout au long de ma visite, qui dura quelques jours.


  C’est en 1833 que le Père Honoré Laval arrive aux Gambier. Il a voyagé en diligence jusqu’à Bordeaux, en passant par Tours et Poitiers. Il est en compagnie des Pères François d’Assise, Carel et Chrysostome Liausu et du Frère Comban Murphy. Ils embarquent sur la goélette « Sylphide », le 22 Janvier 1834.




Le Père Liausu restera à Valparaiso. Les trois autres missionnaires reprendront la mer vers l’archipel des Gambier à bord de la goélette péruvienne « La Péruviana ». Le 7 août 1834, ils arrivent à Akamaru, aux îles Gambier. Il faut croire qu’ils y furent bien accueillis et je saurai bientôt pourquoi …

On m’avait logé à la case de passage, en bordure du lagon. Il faisait un temps très lourd et très chaud : Un orage montait. Je laissai la porte ouverte car il n’y avait pas de fenêtre. La nuit tomba très vite et très tôt, comme toujours sous les tropiques. Les éclairs zébraient l’obscurité et aucune étoile n’était  visible. Un groupe électrogène ronronnait au cœur du village. Une ampoule qui pendait au plafond me procurait un peu de lumière jaunâtre – Je savais que le groupe électrogène allait s’éteindre de bonne heure : Le carburant était précieux et la goélette de Papeete ne venait qu’une fois par mois.  J’eus le temps de dénicher, dans le placard, une liasse de papiers et d’en parcourir le contenu : Savez-vous bien ce que peut être un « Chef de Baie » ? L’un de mes papiers parlait des « Chefs de Baie » !



 Je n’eus pas le temps d’élucider la question : Le vent s’était levé d’un seul coup et … D’un seul coup, la porte de ma case avait claqué : C’était une porte vitrée. Elle avait claqué tellement fort que la vitre avait volé en éclats … Au même moment, la lumière s’était éteinte.



  J’en ai tellement de remords que je ne l’ai jamais oublié : Il faudra aux responsables de Rikitéa commander une vitre de remplacement à Papeete. Elle n’arrivera que dans un mois, au minimum. La collectivité la paiera … J’eus du mal à m’endormir. J’espérais dénicher un balai le lendemain matin pour, au moins, ramasser les morceaux de verre.

  Le lendemain matin, je présentai mes excuses, avec le concours de l’instituteur. On fut aimable et compréhensif.

  Mais les « Chefs de Baie » ?

  L’instituteur était un « popaa », c’est-à-dire un Français venu de métropole. Il était jeune, avait choisi de devenir Volontaire de l’Aide Technique » (On disait « Vat », pour raccourcir) … C’est- à-dire qu’il enseignait à Mangareva  pour une durée équivalente à celle du service militaire qu’il n’avait point rêvé d’effectuer. Il avait épousé une jeune vahiné, la fille du Chef : C’est souvent ce qui se passe quand un jeune homme est affecté, tout seul, sur une île perdue … Les Vahinés sont gracieuses, jolies et entreprenantes !













 Je parle de l’instituteur parce que ce fut lui qui me fit visiter Rikitea.
  Nous allâmes d’abord au pied de la tour que j’avais aperçue, près du quai de débarquement. Elle était haute de cinq ou six mètres au moins, impeccablement construite en pierres de taille : Sciées dans le récif extérieur du lagon, les pierres avaient été ensuite transportées sur des radeaux et acheminées vers les chantiers de construction …. Chez moi, dans l’île d’Oléron, lorsque Louis XIII et Vauban firent construire une citadelle pour protéger les accès au port de Rochefort, on mobilisa tous les ouvriers que l’on avait pu trouver, toutes les charrettes et tous les chevaux, venus d’aussi loin que Poitiers !

 À Mangareva, on mobilisa tous les Chrétiens de l’archipel, (Il n’y avait plus que cela, les bons pères étant parvenus à évangéliser tout le monde et à convaincre chacun que le travail assurait la sauvegarde de son âme).

 J’allais découvrir, là, dans le village, bien des édifices dont la taille et le style auraient pu laisser penser que Monsieur de la Galissonnière, Monsieur Bégon et Monsieur de Vauban, après avoir achevé la construction des forteresses de l’Atlantique, étaient venus aux Gambier et y avaient poursuivi leur œuvre …





 Non loin de la tour, on me montra la prison … Car il y avait une prison ! Tant elle était pleine qu’il fallut un jour envoyer de Tahiti un vaisseau de guerre pour intimer aux bons pères l’ordre de libérer les prisonniers !



 Qu’avaient-ils donc fait pour mériter la prison ? – C’était « L’œuvre de chair » que l’on punissait ainsi ! … Avant l’arrivée des missionnaires, les Polynésiens vivaient nus, dormaient beaucoup et, paraît-il … forniquaient beaucoup !

  Et voilà l’explication de l’institution des « Chefs de Baie » ! … Ces derniers étaient tout simplement des agents d’une police chargée de veiller à ce que, la nuit, les « Tané » et les « Vahiné » ne se promènent pas d’une maison à l’autre … On les avait équipés chacun d’un fanal et d’un bâton.

 On m’a raconté … Mais je vous le raconte comme on me l’a dit … On m’a raconté que le fornicateur était mis en prison puis, en cas de récidive, on proclamait en sonnant de la conque du haut du perron de la cathédrale son bannissement : Il était exclu de la société des Gambier : Personne ne le recevait plus, ni même ne lui adressait la parole … On m’a raconté que le bannissement pouvait conduire à l’exil …




 Quel exil, alors que Mangareva se trouve en plein océan et que les îles les plus proches sont Pitcairn et l’Île de Pâques !

  Eh bien il semble que l’on ne se préoccupait guère : Le banni était placé sur un radeau et conduit hors de la passe : « Vogue la galère, et ne pêchez plus, mon fils ! »

 Ces histoires me font immanquablement penser à celle que raconte Joseph Conrad dans son roman : « Au Cœur des Ténèbres ». : L’histoire de quelqu’un qui aimait tellement les Africains qu’il leur coupait la tête lorsqu’il estimait qu’ils ne partageaient pas les mêmes valeurs que les siennes … Il posait leurs têtes coupées sur les poteaux de clôture  afin d’impressionner ceux qui auraient été tentés de  suivre leur exemple !

Il y avait encore un prêtre européen à Mangareva quand j’y passai. Il était absent lors de mon séjour … Ce qui me permit d’acheter une perle pour mon épouse : Tout ce qui entrait et tout ce qui sortait de l’archipel devait passer par les mains du prêtre, gérant de la coopérative … On comprendra que c’était  là le moyen de protéger les pêcheurs des aigrefins qui eussent voulu les gruger.




Et voilà l’explication des tours, des échauguettes, des observatoires de guet … Et voilà l’explication des fortifications : Dès qu’une voile était signalée à l’horizon, toute la communauté était en alerte … On commençait par rassembler toutes les femmes et toutes les jeunes filles et on les mettait à l’abri en les faisant monter plus haut dans la montagne : On savait ce qu’il advenait lors du passage des marins au long cours, quelle que soit leur nationalité. Quant aux hommes, on les encadrait, mais on savait bien qu’il n’y avait pas de femmes, à bord des navires ! !
En ce temps-là,  il n’y avait pas de perles de culture, rien que des perles fines, sauvages, et des huîtres nacrières … Il paraît que la plus grande partie des nacres et des perles partait à Rome … Du moins c’est ce que l’on m’a dit. De nos jours, des fermes ostréicoles ont été installées un peu partout et l’on produit des perles noires de culture, très recherchées.
Mais mon guide, m’ayant fait passer devant la prison, puis devant le presbytère, dont les bâtiments n’auraient pas fait injure à ceux de l’amirauté de Rochefort, nous nous trouvions au bas du porche de la cathédrale … Car les bons pères ont fait construire une cathédrale, une vraie, avec un large porche, deux tours comme à Notre Dame de Paris, une nef longue d’une cinquantaine de mètres … Toute en pierres de taille amenées l’une après l’autre de l’extrémité du récif où on les avait découpées, dressées, hissées, jointées … Une cathédrale à Rikitéa ! On m’a montré les livres que les pères avaient utilisés pour s’instruire dans le domaine de l’architecture et celui de la maçonnerie .


-     « Nos insulaires se levaient autrefois vers trois heures du matin ; ils mangeaient, se promenaient au frais jusqu’à onze heures et se remettaient à dormir jusqu’à quatre heures du soir ; ils se levaient alors pour dîner et passaient la soirée à courir ça et là, jusqu’à minuit pourvu que le clair de lune succédât immédiatement au jour. Lorsque cela n’avait pas lieu, ils dormaient de nouveau, après avoir dîné, jusqu’au lever de la lune … C’était une vie purement animale … »

C’est en Janvier 1836 que le Père Laval écrivait ces lignes. Il est évident que l’oisiveté est la mère de tous les vices … Pour sauver leurs âmes les Mangaréviens devaient travailler … Les protections contre les contacts avec les étrangers ne suffiraient pas. C’est sans doute à ce moment-là que l’on institua le corps des « Chefs de Baie » !



Ah ! Ils n’allaient pas chômer, les Mangaréviens ! – Dans un premier temps, les Pères évangélisent, soignent, apprennent la langue vernaculaire, composent des cantiques, écrivent une grammaire mangarévienne, traduisent les prières … Au bout de quelques mois, les Mangaréviens détruisent leurs idoles pour mieux manifester leur attachement au Christ. Et c’est bien d’un véritable attachement qu’il s’agit : L’extrème dévouement, la compassion, la piété des Pères ne sauraient être mis en doute … Pas plus que les bonnes intentions. Les Pères sont des hommes de foi et c’est une théocratie qu’ils instaurent ici.



La première église est construite à Aukéna. Elle est dédiée à Saint Raphaël archange. Elle est en bois. Les constructions en dur se réalisent après, notamment grâce au frère Gilbert Soulié, venu rejoindre la mission en mai 1835.

Dans la cathédrale, on installe des statues de plâtre du plus magnifique style Saint Sulpicien, comme dans la plupart de nos églises des campagnes de France ! On pose des vitraux et des tableaux … Tiens ! – À propos de tableaux, on m’en a montré un qui explique pourquoi les premiers missionnaires ont été reçus à bras ouverts : Ce tableau illustre une légende très ancienne … En fait, les Mangaréviens attendaient – « De grands bateaux qui devaient amener des hommes blancs porteurs de grands bienfaits » - On les accueillit donc avec faveur.

Ahuri par les dimensions de la cathédrale et par son imposant aspect, je contemple les rangées de bancs de bois, les voûtes, la chaire de bois sculpté, en tout point semblable à celles de nos églises, je m’avance vers l’autel. Je suis seul. Je me penche sur l’autel pour voir le tabernacle : Porte en bois précieux, ornée de nacres et de perles fines … Je crois que j’ai compté quatre grosses perles, incrustées dans le bois … Elles ne sont donc pas toutes parties à Rome !

Revenons à la lettre du Père Laval, datée de 1836, dont, un peu plus haut, nous avons commencé à donner un aperçu … Nous l’avons trouvée dans les archives de la congrégation de Picpus :



-     « Aujourd’hui ils se lèvent au point du jour, récitent leurs prières, prennent leur popoï (Pâte du fruit de l’arbre à pain, fermentée ), assistent à la messe et à l’instruction, et se mettent au travail. La femme, aidée de ses enfants, fabrique de la tappe (Le « tapa », tissus végétal, obtenu à partir de l’écorce d’un arbre : Le « burau » ), pour les habits ; le mari fait des plantations , prépare le « tioho », va à la pêche, ou bien encore toute la famille se réunit pour sarcler l’herbe qui croît au pied des arbres à pain. »

L’oisiveté est vaincue et donc les âmes sont sauvées !

Sortant de la cathédrale, dédiée à Saint Michel Archange, pas moins ! je repasse devant le presbytère et j’enfile un petit sentier étroit que les herbes commencent à envahir : Il n’y a plus guère d’habitants à Mangareva … Il faudra attendre l’établissement des fermes ostréïcoles pour que la population augmente à nouveau.

Le sentier monte vers le mont Duff, ainsi nommé en souvenir d’un bateau européen qui passa par là … Il culmine tout de même à quatre cent quarante et un mètres, le Mont Duff ! … Rapidement on atteint une sorte de plateau, maintenant envahi par la végétation. La vue sur l’océan est magnifique : Elle s’étend jusqu’au bout du monde, semble-t-il. De ci de là, on distingue des édifices en pierres taillées. La plupart d’entre eux sont à demi écroulés. Certains sont encore debout, mais leurs toitures ont disparu … Là encore, on jurerait que Monsieur de Vauban a dirigé les chantiers de construction !




Je viens de réaliser que le sentier qui m’a mené jusque là est dallé d’un bout à l’autre : Larges pierres venues elles aussi, du récif et portées jusque là, puis ajustées … La végétation a poussé et les dalles sont un peu disjointes.


Mais il est probable que certains commençaient à s’inquiéter de ce nouveau style de vie : On m’a raconté qu’un vaisseau venant à passer aux abords de l’île de Pâques, Rapa Nui … Tous les habitants de cette île s’enfuirent au plus vite et le plus loin possible : Ils avaient peur que les missionnaires débarquent chez eux et les conduisent au même régime que leurs lointains cousins de Mangareva ! … Peut-être craignaient-ils aussi qu’on ne les capture pour les faire travailler à Mangareva ?…


En tout cas, des bruits avaient dû parvenir jusqu’à Papeete, les autorités commençaient à s’inquiéter ..

Me voilà devant un monument incongru sur une île du Pacifique : Un arc de triomphe ! – Il est intact et l’on songerait à une copie conforme de la « Porte du Soleil », par laquelle on pénètre dans l’arsenal de Louis XIV, à Rochefort ! – C’est la porte d’entrée par laquelle on entre dans l’enclos du couvent de Rouru …






L’enceinte de murs est pratiquement écroulée sur toute sa longueur, mais la porte monumentale est restée. Les bâtiments du couvent n’ont plus de toits, mais ils se dressent encore et conservent toute leur majesté, bien que des arbres poussent leurs fûts ça et là. Des arbres, mais aussi des fleurs : Bougainvillées, hibiscus, frangipaniers … Le bâtiment principal, celui qui abritait les ateliers des sœurs et la chapelle s’étend sur 24 mètres de long. Au premier étage étaient les dortoirs. On trouve un puits, une fosse à « Poï-poï », c’est là que l’on conservait la pâte issue du fruit de l’arbre à pain.


D’autres bâtiments, plus petits ... On me répète que les femmes et les filles, dès qu’une voile apparaissait à l’horizon, étaient rassemblées et conduites au couvent pour les soustraire aux possibles dangers d’une rencontre avec des marins étrangers …Les Pères étaient si heureux et si fiers du respect de la décence !


-     «  On ne voit plus de nudités parmi eux : Tout le monde se couvre avec soin. S’il arrive que quelques-uns s’oublient encore – l’habitude étant devenue chez eux une seconde nature – à peine nous aperçoivent-ils qu’ils courent à leurs vêtements, comme le soldat court à son arme à la vue d’un officier. Nos exemples et nos conseils les ont tout doucement amenés à l’amour de l’agriculture … »



 J’ai flâné entre les ruines, j’ai songé devant une croix gravée sur une pierre, j’ai pensé au temps qui s’enfuit … J’ai repris le sentier et je suis arrivé au cimetière : Les tombes étaient envahies par de hautes herbes … De là, on dominait l’océan …


J’ai cherché les traces des cultures dont les Pères avaient fait la promotion :


- « … Dans un enclos voisin de notre case, nous essayons d’acclimater les plantes les plus utiles de nos pays d’Europe : le lin, la pomme de terre, les choux, les haricots, les pois, les oignons, les radis, les navets, etc … »


Rien … Je n’ai rien vu qui conserve les traces de cette horticulture : De nos jours, les denrées alimentaires sont presque toutes apportées de Papeete par les goélettes. Sans doute, tout de même a-t-on conservé quelques cultures de tarots, d’ignames et de patate douce … Je n’en suis pas très certain … Mais il y a les fruits !

Entre le mont Duff et le sommet voisin, il y a un sentier étroit : Il est dallé lui aussi … Je suis monté tout en haut pour apercevoir l’Océan des deux côtés … Dieu, que l’île est petite ! … Un avion se dirigeait vers les Gambier. Sa trajectoire baissait. Il se préparait à atterrir.



Les autorités de Tahiti s’inquiétaient : Ne racontait-on pas que les missionnaires établissaient sur les Gambier un véritable régime despotique ? – On envoya un navire de guerre, commandé par Dumont d’Urville … J’ai dit plus haut que ce fut l’occasion de vider les prisons de Rikitéa. J’ajouterai que, semble-t-il, le célèbre navigateur délivra des louanges à l’action des missionnaires.


Pour faire la part des choses, il faut prendre en compte les ragots et les rancoeurs : Les commerçants venus de l’extérieur ne pouvaient  plus faire leurs affaires comme ils l’entendaient lorsqu’ils étaient de passage. Peut-être aussi quelques Mangaréviens de passage à Tahiti s’étaient-ils plaints de la rigueur des missionnaires : L’une des notions fondamentales de l’esprit polynésien est le « Fiu » … On est « fiu » lorsqu’on n’a pas envie de travailler … Et cela arrive souvent ! Certains, sans doute pouvaient regretter les coutumes anciennes :


« Nos insulaires se levaient autrefois vers trois heures du matin ; ils mangeaient, se promenaient au frais jusqu’à onze heures et se remettaient à dormir jusqu’à quatre heures du soir ; ils se levaient alors pour dîner et passaient la soirée à courir ça et là, jusqu’à minuit pourvu que le clair de lune succédât immédiatement au jour. Lorsque cela n’avait pas lieu, ils dormaient de nouveau, après avoir dîné, jusqu’au lever de la lune … »






On lit, dans les archives de la congrégation de Picpus les lignes suivantes :

-      « En Juin 1857, le Roi Maputeoa meurt. Une période difficile commence.

 Les jeunes de l’archipel partent. Les îles se dépeuplent petit à petit (maladies). Des bateaux de négriers apparaissent à partir de 1862 et la nacre attire les commerçants.

Pour beaucoup, Laval est vu comme le chef de ce petit royaume. A la fois « Consul » et missionnaire, censeur et conseiller, maître et juge de paix, presque tout passe par lui, il est celui qui instaure « une théocratie missionnaire » basée sur le lien affectif. Il est sévère pour ses fidèles et règle ses affaires d’une main ferme.

Il protège la foi et la morale des Mangaréviens contre les maux apportés par l’occident (alcool, argent …) et contre les manoeuvres intéressées et trop faciles par lesquelles les fonctionnaires coloniaux, les marchands et les aventuriers cherchent à tirer profit du peuple mangarévien. »

Paris s’inquiète et charge le Commandant de la Motte Rouge de faire une enquête et un rapport …
Ce dernier rapport énonce ses conclusions :




-     «  Après tout ce que j’ai dit du Père Laval, il est bien évident qu’à mes yeux, il est nécessaire de lui faire quitter ce pays, et le plus tôt sera le mieux. Esprit dominant, caractère emporté, dévoué sincèrement à la religion, qu’il confond un peu avec son Ordre et avec ses propres idées du monde depuis trente-cinq ans et entraîné par des idées religieuses exagérées, cet homme veut, à tout prix « sauver des âmes », et pour cela tous les moyens sont bons … »



Curieusement, je ne conserve plus de souvenirs de mon départ des Gambier. Je crois que j’en suis reparti en avion, tout comme j’avais dû y venir … Je ne suis très sûr ni des moyens de mon départ, ni de ceux de mon arrivée … Étrange, non ? Je ne me souviens pas, non plus de danses, qui sont pourtant traditionnelles en Polynésie, ni même de musique ou de chants … Je me souviens de bâtiments en ruine, de sentiers dallés, de tombes envahies par les herbes sauvages, d’une cathédrale incongrue, d’un instituteur européen dont j’appris, quelques temps plus tard, le suicide …


Je me souviens d’une présence qui flottait dans l’air et sur les eaux, une présence qui m’a hanté très longtemps … Une présence qui ne m’a pas quitté. Le héros de Joseph Conrad s’appelait Kurtz … Autre temps, autres lieux … «  Laval … Le Père Laval ! »



Peut-être un jour, au moment où j’appuierai sur le bouton de la télécommande … Peut-être que les images de la télévision me ramèneront là-bas : Chacun pourra entrer dans la passe, contourner les îles inhabitées, entrer dans la baie de Rikitéa … Maintenant, je sais qu’il y a là-bas une quantité de fermes perlières … La population de Mangaréva a augmenté … Quelqu’un, au milieu des murs éboulés fait-il encore ressurgir le souvenir ?

-     «  Monseigneur, pour apaiser cette tempête m’écrivit au mois de mars 1871 de me rendre à Tahiti, où je continuerais d’être son provicaire tout le temps que j’y resterais. Mais que je m’y suis dûment ennuyé ! Est-ce donc là ma récompense de trente-six ans de mission ? »

                                    Honoré Laval.
                                            
                                             ****
                                                *
On se doit d’ajouter un autre extrait de ses lettres : - « Je voudrais que tous ceux qui accusent la religion de tyrannie fussent témoins de ce qui se passe ici. Ils comprendraient peut-être que le christianisme ne fait pas  des esclaves et que cette déférence de nos néophytes est l’effet naturel de l’amour filial, par lequel ils répondent à l’amour vraiment paternel que nous ressentons pour eux …(Janvier 1836).

… Un beau film à tourner pour un réalisateur de qualité … Nous pensons au film intitulé « Mission » et nous pensons au Paraguay …



Lien pour compléter ce récit :

http://www.ssccpicpus.fr/article.asp?contenu_ssrub=HONORE+LAVAL+(1807-1880)&contenu_rub=FIGURES+PICPUCIENNES